En apparence insouciante et à des kilomètres de la réalité, la jeunesse dorée de Kiev se prélasse dans un décor inspiré d’un clip de hip-hop floridien. Piscine de 25 mètres au centre, matelas « XXL pour huit personnes » forment un premier cercle, viennent ensuite les rangées de chaises longues. Des parasols pour se protéger du soleil ardent. Trois bars pour se désaltérer. Le tout surplombe une plage de sable fin bordant les eaux sombres du Dniepr.
Dimanche 13 août, en milieu d’après-midi, le Fifty Beach Club fait le plein avec 150 clients. Presque tous ont moins de 30 ans, des corps travaillés et bronzés. Les filles, toutes en bikini et très maquillées, dansent sur une musique house, papotent, sirotent des cocktails en s’observant mutuellement. En bermudas, les hommes, pour la plupart culturistes et tatoués, font de même. Ils roulent aussi des mécaniques, poussent leurs camarades dans l’eau ou font des saltos pour amuser la galerie.
La musique, mixée par une femme aux mèches roses, est trop forte pour se relaxer, mais permet de commander un cocktail sans hurler. Les prix sur le menu, sans être astronomiques, visent une clientèle aisée : le « pornstar Martini » et la « pizza au Nutella et aux fraises » sont servis pour environ 10 euros. Les gros 4 × 4, les berlines élégantes et les voitures de sport garés sur le parking surveillé confirment leur appartenance sociale.
« C’est un dimanche normal », raconte Denys, un barman roux portant un tee-shirt aux couleurs du Fifty Beach Club où sont inscrits le slogan « Vis l’instant » et une marque de bourbon. « Ici, tout dépend de la météo. S’il fait beau, c’est plein, y compris en semaine. » Comparant la fréquentation à « avant », Denys évite soigneusement – ou peut-être inconsciemment – toute référence à la guerre déchirant son pays. Comme les clients de son club, le barman n’évoque la situation politique qu’à contrecœur et contraint par son interlocuteur.
« Nous avons bien le droit de nous changer les idées ! »
« La guerre est notre quotidien, mais nous avons bien le droit de nous changer les idées ! », s’écrie Olena, 24 ans, allongée sur une chaise longue et soudainement crispée. « C’est tellement pénible de lire les informations, d’apprendre que des enfants ont été tués ce matin, d’être réveillé la nuit par des explosions, et ça ne s’arrête jamais. Je n’ai pas envie que la guerre pourrisse ma jeunesse. J’ai besoin de l’oublier de temps à autre. Ici, j’y parviens. »
Clairement ennuyée par le tour pris par la discussion, sa voisine de chaise longue, en bikini vert pomme, fait la moue, se lève et va délicatement se glisser dans l’eau de la piscine. Ses faux ongles blancs, démesurément longs et taillés en pointe, sont les seuls objets, dans ce cocon de plaisirs, ressemblant de près ou de loin à une arme.
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