Le Xinjiang, région ouïgoure qui doit devenir chinoise comme les autres

Des familles qui s’amusent dans un parc fraîchement construit, une enfant qui révise, livre à la main dans une rue tranquille d’un « centre ancien » refait à neuf, un couple, main dans la main devant une mosquée : les photos de Gilles Sabrié illustrent des scènes de la vie quotidienne dans des villes chinoises. Or toutes ces villes sont situées au Xinjiang, la région où vivent les Ouïgours et d’autres minorités musulmanes, victimes d’une répression féroce par le pouvoir chinois. Pour qui a suivi l’actualité du Xinjiang ces dernières années, la banalité des scènes capturées par le photographe frappe.

La « région autonome ouïgoure du Xinjiang », située dans le nord-ouest de la Chine, a toujours été étroitement contrôlée, mais la pression a été renforcée après des émeutes meurtrières en 2009. Alors que les attentats se multipliaient, Pékin a lancé la campagne « Frapper fort » en 2014. Deux ans plus tard, un nouveau secrétaire du Parti communiste chinois (PCC) pour la région rendait la police omniprésente et mettait en place des camps de « rééducation », bientôt renommés « centres de formation professionnelle ». Plus d’un million de Ouïgours, soit près d’un sur dix, y ont été « éduqués », selon les autorités. Le Xinjiang de l’époque avait des airs de prison à ciel ouvert.

Et puis, doucement, on y a vu un peu moins de policiers, moins de checkpoints. En 2019, les autorités chinoises, sous la pression de la communauté internationale, ont affirmé que tous les « étudiants » avaient été « diplômés », et avaient retrouvé leur liberté. Ils restent largement contrôlés : par la police, par les réseaux de comités de quartiers et de villages, ou par leurs employeurs, car nombre d’entre eux ont été enrôlés dans des programmes de « réduction de la pauvreté », envoyés aux quatre coins de la région ou du pays pour travailler dans des usines. Refuser n’est pas une option, d’où les accusations de travail forcé contre Pékin.

Relancer l’économie

Mais un Xinjiang nouveau émerge après des années de répression et trois ans d’une politique zéro Covid extrême. Les autorités considèrent qu’elles ont réussi à « éradiquer l’extrémisme », mais les habitants du Xinjiang savent qu’au moindre faux pas, ils risquent d’être envoyés en camp ou directement en prison. Difficile d’avoir un regard précis sur l’évolution du système d’internement. La Chine affirme que les camps de rééducation ont fermé, mais la population carcérale a explosé.

Les photos de Gilles Sabrié illustrent cette nouvelle phase dans le contrôle du Xinjiang : fin 2021, un nouveau secrétaire général du PCC pour la région a été nommé, avec la mission de relancer l’économie. Il a fait du tourisme une priorité. L’objectif semble être aujourd’hui l’intégration culturelle du Xinjiang, qui doit devenir une région chinoise comme une autre, la culture musulmane et ouïgoure réduite au statut de folklore, pour divertir les touristes. Les mosquées les plus connues voient passer plus de touristes que de fidèles, qui évitent pour la plupart les lieux de culte, de peur d’être considérés comme des « radicaux ».

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